Rencontre - conférence avec Aurélie Monkam
Le jeudi 26 février, invitée par l'association Rico-Lamour,
Aurélie Monkam ira à la rencontre des élèves de deux
collèges de Guipavas. Puis, à 20 h 30, elle sera en
conférence publique à l'école de la Croix-Rouge. Kevin,
son fils, et son ami Sofiane ont été assassinés sans
raison par une dizaine de jeunes, en septembre 2012 à
Échirolles, dans la banlieue de Grenoble.
Aurélie Monkam, qu'est-ce qui vous a poussée à
accepter l'invitation de l'association Rico-Lamour à
Brest à le 26 février ?
Parmi toutes les invitations, il faut choisir. Je suis
très sollicitée. Le nom de l'association me plaisait. Et
nous faisons partie d'une communauté de souffrance. Avec
Gilles Lamour, les drames que nous avons vécus se
ressemblent. Il faut se soutenir, former une chaîne
d'amitié et d'espoir. Nous avons besoin de cette
solidarité. Et puis, je lisais Jacques Prévert peu avant
qu'on ne me propose cette intervention. J'étais tombée
sur le poème « Barbara »... C'est étrange, parfois, les
coïncidences.
Peut-on comprendre la violence qui s'est abattue sur
votre fils Kevin et son ami Sofiane ?
Je ne comprends toujours pas. Au lendemain du décès de
mon fils, on m'a posé des milliers de fois cette
question. Trois ans après, je ne suis pas plus avancée.
La montée de la violence chez les jeunes, je ne peux pas
la comprendre. Je pense que, pour répondre à la
violence, il faut avoir des armes.
De quels moyens dispose- t-on, justement, pour faire
face à la violence ?
La principale, c'est l'estime de soi. Il faut que les
jeunes sachent qu'ils ont des compétences, que l'estime
de soi se gagne, à l'école, dans le travail. Sinon, que
reste-t-il ? Les petits trafics ? Un groupe qui élève,
qui influence ? Dès le plus jeune âge, il faut apprendre
aux enfants qu'il n'y a pas qu'une seule modalité de
réponse à la violence. Mais il faut le dire aussi après.
Il y a de la violence partout. Il existe des violences
dont on parle peu, la violence orale, dans les
entreprises, par exemple. Il faut en parler. La pire
erreur est de se laisser noyer par la violence quelle
qu'elle soit.
Quelles actions peut-on mettre en place pour prévenir la
violence ?
Le 2 octobre, c'est la journée de la non-violence. Ça a
été décrété par l'ONU. Nos enfants sont décédés le 29
septembre. Le 2 octobre, nous avons organisé une marche
blanche. Et je me suis rendu compte que c'était aussi la
journée de la non-violence. Alors nous avons décidé
d'arpenter les écoles de la ville, pour dire que cette
journée existe. J'aimerais que cette journée soit
véritablement inscrite dans les calendriers et qu'à
cette occasion, tous les enseignants fassent quelque
chose. Nous avons réussi à travailler avec quelques
écoles, les enfants ont écrit des poèmes, ont fait des
dessins. En plus, il y avait la chanson de Calogero, ils
la connaissaient tous, ça les a encouragés.
.Parlez-nous de cette chanson de Calogero...
Calogero nous avait écrit. Il vient d'Échirolles, il a
été touché comme nous tous par ce drame. Après plusieurs
mois, il est revenu vers nous pour nous présenter une
chanson et recueillir nos avis. Il n'y avait pas
beaucoup de corrections à apporter. Finalement, je me
dis qu'il n'y avait que lui pour faire ça. Il avait été
touché et il fallait qu'il transcende le choc.
Quel sera votre message aux collégiens ?
Je pars du principe qu'ils connaissent l'histoire.
Sinon, je vais la raconter... Je ne suis pas là pour
faire une conférence sur la non-violence. Je veux
susciter chez eux des questions. Qu'est-ce qu'ils en
pensent ? Quelles sont les expériences de violence
auxquelles ils ont pu être confrontés ? Comment y
répondre ? Les jeunes se plaignent souvent de ne pas
avoir la parole. Là, c'est eux qu'on écoute.
Vous avez écrit un livre après le drame, « Le ventre
arraché », qu'est-ce qui vous a poussé à l'écrire ?
C'était spontané. J'ai toujours écrit. Je tiens un
journal intime depuis que je suis adolescente.
L'écriture me fait beaucoup de bien. J'avais besoin
d'exprimer ma douleur. J'ai pris mon journal et j'ai
noté ce que je ressentais. De fil en aiguille, je me
suis rendu compte de l'émoi que ce drame avait suscité.
Je me suis dit qu'il fallait faire quelque chose, j'ai
décidé de sortir un livre.
C'est aussi un message d'apaisement ?
Bien sûr, oui. Il ne faut pas rester sans réponse face à
la violence. C'est aussi un livre pour dire que la loi
du Talion n'est pas la bonne. Nous avons pour mission de
laisser un héritage et on ne peut pas créer sur un monde
de violence.
Quels sont vos projets aujourd'hui
?
J'ai un grand projet en tête... Celui de monter une
fondation. Mais on ne se lève pas un beau matin en se
disant : « Tiens, je vais créer une fondation ! ». Lors
de la marche blanche du 2 octobre, en hommage à Kevin et
Sofiane, les jeunes du quartier avaient fait des
banderoles : « Vous ne pouvez pas être morts pour rien
». Ils voulaient que leur mort serve à quelque chose...
Il y avait ce besoin de construire. La fondation aurait
pour mission de promouvoir la non-violence et de lutter
contre le décrochage scolaire. Les agresseurs de Kevin
et Sofiane étaient mineurs. Quand le drame a eu lieu,
ils auraient dû être à l'école, pas dans la rue...
Les dates clés :
28 septembre 2012
Après une banale querelle, une dizaine de jeunes
lynchent à mort Kevin et son ami Sofiane, tous deux âgés
de 21 ans.
27 mars 2014
Aurélie Monkam sort un livre, « Le ventre arraché », où
elle envoie un message d'apaisement. 26 février 2015
Interventions d'Aurélie Monkam dans les collèges
Saint-Charles et du Vizac, à Guipavas. Puis, à 20 h 30,
témoignage-conférence publique à l'école de la
Croix-Rouge, à Brest.