Violence. «Il faut savoir la canaliser»
Un coup de couteau en pleine rue. C'était le
9septembre 1996. Ce jour-là, Michel Bourgat, médecin et
adjoint au maire de Marseille, a perdu son fils. Quinze
ans plus tard, il ne pardonne pas. Mais il a transformé
sa douleur en combat.

«Il ne faut pas
stigmatiser la violence. C'est une pulsion naturelle et
utile. Elle nous permet d'avancer et d'évoluer. Encore
faut-il savoir la canaliser et ne pas perdre de
l'énergie à s'en servir bêtement. Ce doit être un outil
pour construire, pas pour détruire». Hier matin, à
Guipavas, face à des dizaines de collégiens attentifs,
parfois émus, Michel Bourgat a témoigné. Témoigné du
volcan qui l'anime depuis que son fils, Nicolas, a été
poignardé sans raison, à l'aube de ses 15ans. Témoigner
du long cheminement qu'il a suivi pour surmonter cette
épreuve. Témoigner parce que «ça contribuera peut-être à
faire changer des choses, des mentalités et que c'est,
en tout cas, ma manière de positiver cet acte odieux».
Témoigner, parce qu'en parler, «c'est se souvenir et
continuer à aimer». À ses côtés, Gilles Lamour, le père
du jeune Éric, poignardé le 12juin 2010 à la sortie
d'une discothèque de Ploudalmézeau, acquiesce. Pour
rendre hommage à son fils, il a aussi créé une
association et entend aussi jouer la carte de l'action
et de la prévention.
Dépasser la haine
Michel Bourgat poursuit sans temps mort et sans tabou.
«Posez-moi toutes les questions que vous voulez, même
les plus personnelles, je suis là pour ça»... Papa,
médecin, élu, boxeur depuis trente ans, président
honoraire de la Fédération pour l'aide et le soutien des
victimes de violence où il est aussi responsable de la
prise en charge des mineurs hyperviolents... Il parle
avec toutes ces casquettes à la fois. «Oui, j'ai
ressenti une terrible colère. Je ne suis pas un saint.
Je ne pardonne pas, et je n'ai pas envie de le faire,
mais je n'ai pas de haine. Je me suis défendu par le
mépris. Je ne suis pas fier d'être méprisant... Mais
entre la peste et le choléra, j'ai choisi le moins pire.
Je ne sais pas si c'est courageux, je crois que je
n'avais pas le choix». Puis il s'adresse à ces jeunes
avec un regard paternaliste: «Vous n'êtes pas des
adultes en réduction, vous êtes des adultes en
devenir... Réfléchissez et ne vous laissez pas
formater». Et il s'emballe: «Attention à la télé et au
cinéma. On vous balance de la violence esthétique mais
sans aucun sens. Où est le bien, où est le mal? On ne
sait plus, on n'explique plus. Regardez Terminator: dans
le premier, le méchant est un costaud en Perfecto, dans
le deuxième, c'est un policier, dans le troisième, c'est
une femme... Quels sont les messages et les valeurs que
l'on veut véhiculer?... Moi, je m'interroge». Dans
l'assistance, on murmure. Visiblement, le discours
interpelle.
La déprimeest un ennemi
Il ferme la parenthèse. Revient à son expérience. «Être
humain, c'est maîtriser ses excitations». Pour trouver
cette force intérieure, il reconnaît avoir mené un long
travail d'introspection. «La déprime, c'est comme la
haine, ça vous ronge et ça ne sert personne. C'est un
vampire séducteur... Mais les vampires ne rentrent que
si vous les appelez...». Son crucifix à lui, ça a été
l'écriture. «Ça m'a calmé beaucoup plus que si j'avais
déchargé un flingue, croyez-moi». L'écriture pour fixer
des sentiments confus et pour comprendre. «Je ne cherche
pas des excuses, je cherche des explications... C'est
comme le bacille de Koch. Quand on sait comment il agit,
on sait quel antibiotique donner». Alors il a enchaîné
les publications: «Comment des enfants deviennent des
assassins» (ouvra
ge primé par le barreau
de Paris), «Rue Nicolas Bourgat» et «L
e deuil n'est pas une fin»... Et à 66ans, l'homme
n'entend pas s'arrêter là. Comme si l'hyperactivité
était la clé maîtresse pour parvenir à la sérénité.